L’allée était relativement calme, la vie avait l’air de s’y écouler tranquillement, les pas réguliers d’un enfant en train de courir raisonnèrent un instant puis le bruit s’estompa. Rose n’avait pas envie de s’attarder dans la rue, elle saisit le carton le plus léger qu’elle trouva dans le camion et essaya de le maintenir caler contre sa poitrine pour ne pas qu’il tombe. Elle fit quelques pas sur ses petites jambes en s’appliquant à ne pas trop secouer la boîte qu’elle tenait. La rouquine finit par entrer dans la maison dont la porte était déverrouillée et déposa le carton sur une des marches de l’escalier, considérant qu’elle en trouverait un plus léger en cherchant bien. Elle eut un à peine le temps de pivoter sur elle-même que la voix familière de sa mère s’éleva, l’appelant. « Tu m’as appelé maman ? » répondit-elle en arrivant devant sa mère. Rose jeta un coup d’œil intrigué au garçon qui se trouvait à côté d’une femme qu’elle ne connaissait pas non plus. Il était évident qu’ils étaient leurs voisins et la petite rousse se réjouit qu’il y ai un enfant dans ce quartier trop calme. « Oui, j’aimerais te présenter Teddy, c’est notre voisin. » répondit sa mère avec entrain. La jeune anglaise jeta un regard intrigué au garçon qui se trouvait à quelques pas d’elle. Il était légèrement plus vieux qu’elle et elle trouvait son prénom très étrange. Penchant légèrement la tête sur le côté elle lui sourit tranquillement. « Enchantée ! Dis, c’est normal que tu t’appelles comme un teddy bear ? » la question était peut-être un peu soudaine et étrange mais le garçon laissa échapper un petit rire léger avant de répondre. « Oui, c’est normal. » Rose hocha doucement la tête. « On va vous laisser, n’hésitez pas si vous avez besoin de quelque chose ! » s’exclama la mère de Teddy. Leur mère se saluèrent puis ils repartirent chacun de leur côté. Les talons des escarpins d’Amanda claquaient bruyamment sur le sol.
Le lendemain même, elle se rendit à l’école où elle devait désormais aller. En arrivant elle avait essayé de repérer Teddy quelque part au milieu de tout les autres élèves mais elle ne l’avait pas vu. Pourtant Rose avait envie de voir quelqu’un qu’elle connaissait pour se rassurer. Au lieu de trouver son voisin, un garçon d’une tête de plus qu’elle s’approcha. Il saisit d’un mouvement vif son livre. « Alors, la nouvelle, tu t’amuses bien ici ? » lâcha-t-il d’un ton sarcastique. La rouquine lui lança un regard assassin et tendit sa main, la paume vers le ciel. « Rends-moi mon livre ! » répliqua-t-elle de la façon la plus menaçante qu’elle pouvait. Mais avec ses petites nattes rousses et ses yeux affolés elle n’était pas très convaincante et le colosse lui rit au nez avant d’ouvrir le livre. Il s’agissait d’un exemplaire "d’Alice au pays des merveilles" que Rose avait eu en Angleterre pour ses six ans. Le livre en lui-même n’était pas spécial mais elle y attachait une importance particulière car il lui rappelait son ancien chez-elle qui lui manquait. En l’amenant elle espérait pouvoir compter sur lui comme sur un porte bonheur. Le garçon fronça le nez en jetant un bref coup d’œil sur les petits caractères noirs qui couvraient les pages. Sa main s’approcha dangereusement et souleva une page. Il la saisit entre le pouce et l’index avant de tirer un coup sec, la page se détacha d’elle-même. Les larmes montèrent dans les yeux de Rose, elle n’aimait pas être humiliée. Sa petite main pâle se rapprocha de son visage et elle essuya négligemment ses larmes. « Rends-moi mon livre. » dit-elle d’une voix étranglée qui se voulait menaçante. Des pas se firent entendre derrière elle, Rose n’y fit pas attention et continua de jeter un regard noir baigné de larmes au géant qui se trouvait devant elle. « Rend lui son livre Mark, ce n’est pas comme si tu allais le lire, tu es bien trop con pour ça. » elle avala difficilement sa salive, soulagée que cette voix familière - celle de Teddy - retentisse. « Oh la petite rousse a un chevalier servant ! Dégage Teddy et laisse-moi finir ce que j’ai commencé. » lui répondit Mark. Teddy fit un pas vers lui.  « Non, je pense pas. Tu sais que je n’hésiterais pas à frapper s’il le faut mais Tom est déjà partis chercher la maîtresse alors je décamperais vite si j’étais toi. » il jeta un regard intrigué autour de lui, cherchant sûrement Tom. Puis il lâcha le livre dont il manquait maintenant un bon nombre de pages, parterre. Son nouveau voisin se baissa et attrapa le livre, le lui tendit. Elle l’attrapa et le serra contre elle. « Ne fait pas attention à lui, c’est un idiot. » Rose grimaça avant de lancer un regard noir à Teddy. Elle lui était tout de même reconnaissante pour ce qu’il avait fait, mais elle n’avait aucune envie de le montrer et son orgueil le lui en empêchait. Elle voulait lui montrer qu'elle savait s'en sortir toute seule, qu'elle était indépendante. « Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui vienne me sauver, je m’en sors très bien tout seule merci beaucoup. Alors ne recommence plus ! » lâcha-t-elle amèrement. Teddy lui lança un regard étonné, sans doute s’attendait-il à ce que Rose le remercie ? Pourtant cette dernière n’était pas décidée à se montrer tendre avec lui. « Si tu le prend comme ça, je ne m’embêterai plus roussie. » les yeux humides de Rose le fixèrent d’un air assassin avant qu’elle ne se tourne vers le bâtiment. Elle n’avait aucune envie de montrer à Teddy qu’elle l’appréciait.

Cela faisait une bonne année que tout n’était plus si calme dans le foyer des Welligton. Les cris mêlés aux bruits de verre brisé, à un poing qui s’abat sur la table, tout cela étaient depuis un certain temps la rengaine qui berçait les jours de Rose. Jusqu’au jour fatidique où sa mère, qui depuis le début des hostilités avait tenté de cacher ses problèmes tant bien que mal aux yeux des autres, s’était approchée d’elle avec un air solennel. Rose n’était pas naïve, elle savait qu’un couple ne vivait pas toujours heureux et qu’il y avait des mauvaises périodes passagères, elle s’était forcée à voir les disputes de ses parents comme « une mauvaise période passagère ». C’est pour cela qu’elle avait eu l’impression de recevoir un coup de fouet quand on lui avait annoncé qu’ils divorçaient. Heureusement Teddy avait été là pour la soutenir. Finalement, après de longues discussions, le père de la jeune fille décida de repartir à Londres, où résidait une grande partie de sa famille, notamment ses parents et son frère. Elle n’eut aucune envie de rester seule avec sa mère et de ne revoir son père que quelques fois pas an, elle décida donc de partir avec lui pour l’Angleterre, son pays natal. Avant de s’envoler pour l’Europe, elle fêta ses dix sept ans en organisant une soirée chez elle. Beaucoup de ses amis étaient invités, et aussi son petit ami, Guillaume. Seulement, au beau milieu de la soirée elle apprit que Guillaume lui avait fait perdre sa virginité suite à un pari. Rose s’enferma donc dans sa chambre sans vouloir en sortir.
« Rose ouvre cette porte où je l’ouvre moi-même. » elle ne résista pas une minute de plus, son voisin était sans doute le seul à qui elle aurait put se confier, levant une main tremblante, elle ouvrit lentement la porte et aperçut la silhouette de Teddy se glisser à l’intérieur, fermer la porte derrière lui. Son visage était mouillé de larme, ses joues luisaient sous la lumière artificielle de l’ampoule, mais elle ne pouvait pas s’arrêter de sangloter. « Qu’est-ce qui s’est passé Rose, qu’est-ce qu’il a fait ? » Rose ne savait pas par quel bout elle devait le prendre, elle se sentait humiliée et surtout trahie. Elle était amère et énervée, elle embrassa sa chambre du regard avant de poser son regard sur la fenêtre pour essayer de réfléchir calmement. « Je n’étais qu’un pari Teddy. Un foutu pari … Et il l’a gagné son putain de fric ! Il l’a gagné parce que j’ai été assez conne pour lui donner ma putain de virginité. » elle ne put s’empêcher de laisser couler encore quelques larmes. Teddy ouvrit des yeux ronds, visiblement choqué. « Et le pire c’est que c’était horrible. Je voulais que ma première fois soit magique moi. » elle ne disait pas ça par dépit ni pour dénigrer Guillaume, elle disait simplement la vérité. Teddy fit un pas en avant, Rose ne bougea pas. Il la prit dans ses bras et elle se blottit contre lui, pleurant de plus bel, hoquetant, abîmant encore un peu plus le maquillage qu’elle avait soigneusement appliqué sur ses cils et ses paupières. « Ce n’est qu’un con Rose, il ne te méritait pas de toute façon. » il fallut un certain temps à la jeune fille pour se calmer, elle continua de pleurer encore un certain temps mais Teddy resta avec elle en attendant que ses pleurs ne s’estompent. Elle leva doucement la tête, les yeux encore humides. « Dis Teddy, tu voudrais bien me rendre un service ? Vois-le comme mon cadeau d’anniversaire. » elle s’étonnait elle-même de poser cette question mais au fond elle savait très bien ce qu’elle faisait. « Mais je t’ai acheté un de … » elle ne laissa pas finir. Rose ne voulait pas lui demander un CD, ni un bijou ni quoi que ce soit de matériel. « Je veux que tu couches avec moi Teddy, je veux oublier cette première fois horrible. S’il te plaît ? » elle levait vers lui des yeux plein d’espoir. De son côté il la regarda longuement avant de s’approcher d’elle pour l’embrasser. Ce baiser plu à Rose, bizarrement un sentiment nouveau s’insinuait en elle, elle en oubliait qu’elle allait devoir retourner en Angleterre le lendemain même et qu’elle et Teddy ne faisait que se hurler dessus. Mais le lendemain matin, bien qu’à contre cœur, elle dû s’échapper, s’en aller, partir pour retourner dans son pays natal.

Après sept ans passés en Angleterre, Rose se lassa et désira retourner au plus vite à Bluebell, c’était sans doute calme mais elle voulait prendre son envol et à Londres, cela lui semblait impossible. Faire des études, trouver un appartement, n’importe quoi mais devenir indépendante. En revenant la jeune anglaise pensait que son caractère foncièrement différent de celui de sa mère ne serait pas un obstacle et que leur relation se serait améliorée depuis le divorce, mais elle se trompait lourdement et après une petite semaine de cohabitation avec sa mère, elle n’en pouvait déjà plus. La rouquine chercha une colocation mais pour l’instant, rien ne venait et la situation avec sa mère ne faisait qu’empirer. C’est en croisant la mère de Teddy au supermarché que la jeune femme trouva enfin une opportunité de s’éloigner de la maison où elle avait vécu jusqu’à ses dix sept ans. Le lendemain même elle alla sonner chez Teddy et sa sœur. C’est une jeune demoiselle blonde qui vint lui ouvrir la porte, elle avait l’air plein de joie de vivre. « Bonjour. » fit-elle en apercevant celle qui devait être la sœur de Teddy. La jeune fille lui rendit son salut. « Je suis votre ancienne voisine... Rose. » ajouta-t-elle. La blondinette opina avant de l’inviter à entrer. Elle la laissa planté dans la cuisine tandis que Rose entendait des voix sans comprendre ce qu’elles disaient. « Rose ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? » elle lui répondit par un sourire léger, presque amusée par son étonnement. « Et bien je suis de retour. Maman m’a dis que tu étais au courant. » répondit-elle avec désinvolture. « Si j’étais au courant c’est juste que j’ignorais la date exacte de ton retour … Qu’est-ce qui te ramène à Bluebell ? » lui demanda-t-il. Cela devait en effet être étrange de la revoir après tant d’années, pour lui comme pour elle. « Ca me manquait et puis j’ai trouvé un job intéressant … » c’était pourtant vrai, elle avait décidé d’étudier le journalisme et vendre ses articles en même temps à certain journaux intéressés. Un silence gênant pesa sur tout le monde mais l’homme qui se trouvait devant elle préféré le briser. « Tu veux bien quelque chose ? » elle fit non de la tête. « Je peux faire quelque chose pour toi peut-être ? » Rose se tordit nerveusement les mains. Elle était assez étonnée que Teddy ne sot pas au courant de sa venue et cela la gênait un peu d’exposer les faits dans ces conditions. « Oui, je … » pour se donner du courage et faire bonne contenance, elle prit une grande inspiration avant de continuer à parler. « Je suis rentrée il y a quelque jour et la colocation avec ma mère est un désastre. J’ai croisé ta mère hier au supermarché et elle était au courant de la situation avec ma mère. Je lui ai dis que j’essayais de retrouver des amis à moi et de voir s’ils cherchaient un colocataire et c’est là qu’elle m’a dis que tu avais acheté une maison et que tu serais ravi de m’héberger. Je pensais qu’elle t’en aurait parlé. » elle avait l’impression qu’il n’avait pas l’air de vraiment comprendre et elle ne voulait pas le déranger plus longtemps, gênée et légèrement énervée sa voix s’éleva avant qu’elle ne retourne vers la porte. « Laisse tomber Teddy, je vais y aller. » Rose ne sut pas ce qu’il se passa dans son dos, elle entendit une petite voix mais ne saisit pas le sens des paroles, quand elle s’apprêtait à s’en aller, Teddy se précipita devant elle et lui barra la route. « Ne pars pas Rose, désolé, je pense que j’étais un peu chamboulé. Tu peux rester ici si tu veux, ma sœur vit avec moi par contre, faut la supporter mais elle est sympathique. » Une lueur d’espoir se ralluma dans les yeux de Rose. Elle ne se voyait pas vivre une minute de plus aux côtés de sa mère. Un sourire se dessina sur ses lèvres, si elle avait osé elle aurait sauté au cou de Teddy, ravie de savoir qu’il acceptait de l’héberger et ainsi, de la sauver des dîner en tête à tête avec sa mère ou d’une colocation avec des personnes étranges, mais elle se retint. « Merci beaucoup Teddy ! Et la demoiselle qui m’a ouvert la porte était ta sœur ? Elle a bien changée c’est clair ! » montrant son enthousiasme non feint, elle était maintenant d’une humeur merveilleuse, soulagée de savoir qu’elle avait maintenant un « chez elle ». « Tu peux emménager quand tu veux, on est là tout le week-end. » Rose opina, trop heureuse pour commencer à réfléchir. Elle remercia son ancien voisin et s’éloigna alors, un sentiment bizarre s’était glissé en elle. Elle était à la fois heureuse de savoir qu’elle habitait quelque part, mais elle redoutait sa cohabitation avec Teddy, après ce qu’il s’était passé entre eux, se voir tout les jours risquait d’être assez étrange.