«
Je ne peux plus être ton amie Ricky. ». Elle avait l'impression que cela ne sortait de nulle part, tant cette déclaration lui semblait irréelle. Elle posa alors les yeux sur celle qui avait été son amie depuis son arrivée en Alabama au début de l'année scolaire. Cette grande demoiselle aux traits fins qui était en dernière année et qui n'avait tout de même eu aucun problème à devenir son amie. Sa meilleure amie. Mais, malgré son déni, elle savait très bien pourquoi d'un seul coup, il y avait ce changement de comportement chez sa camarade. «
Dis pas n'importe quoi, s'il te plait. Tu partiras pour la fac à la fin de l'année, ne gâche pas les quelques mois qu'il nous reste. ». Elle ne la laisserait pas partir sans d'abord se battre pour qu'elle change d'avis. Dans quelques mois, elles seraient à plusieurs centaines de kilomètres l'une de l'autre et rien ne serait plus jamais pareil. Elle ne pouvait pas la laisser tout gâcher maintenant. Mais dans le regard de la jeune femme, elle pouvait lire cette détresse mélangée à de la tristesse. Ricky essaya de lui prendre la main mais, elle se déroba. «
Tu ne comprends pas, je ne peux pas. ». Erica-Jane déglutit difficilement et prit son temps pour répondre. Elle savait que si elle parlait aussitôt, sa voix serait tremblante, trahissant ainsi ses sentiments profonds. Jamais elle n'avait imaginé pouvoir tomber amoureuse d'elle, jamais elle n'aurait imaginé ne serait-ce qu'être amie avec elle. Pourtant c'était arrivé. Elle était tombée amoureuse de cette fille riche du sud, cette fille pour qui les apparences comptaient plus que tout, pour qui le moindre événement organisé en ville avait énormément d'importance, cette fille autoritaire que tout le monde écoutait sans sourciller. Celle là même qui était destinée à épouser un homme de bonne famille, à jouer les femmes, puis les mères, au foyer parfaites. Tout ce qu'elle-même n'était pas en soit. Son parfait opposé, le genre de fille qui n'acceptera jamais son attirance pour une autre femme. «
C'est à cause de lui? ». Lui, le fameux garçon de bonne famille, avec qui la jeune femme face à elle était en couple. Pourtant, elle n'avait pas eu de mal à l'oublier la dernière fois qu'elles s'étaient vue, s'embrassant dans sa chambre, sans honte. Son coeur battait trop vite et il lui faisait mal. Elle l'entendait presque lui servir son excuse, sachant qu'elle ne lui donnerait jamais la véritable. «
Je ne peux pas lui faire ça. Tu comprends, je ne peux pas le tromper. ». C'était loupé pourtant, parce que c'était déjà fait. Si elle arrivait à occulter la nuit qu'elles avaient passée, dans l'esprit de Erica-Anne, c'était encore très vif et très clair. Elle se passa une main sur la nuque, la massant légèrement. «
Alors quittes-le. ». Après tout, si c'était le problème, la solution était toute trouvée non ? Elle n'avait pas nié ressentir quelque chose pour elle, elle avait juste confessé ne pas pouvoir le tromper, alors pour Ricky, la réponse était simple, elle n'avait qu'à le quitter. Elle ne demandait pas de vivre leur relation au grand jour, juste de la vivre et de ne pas y mettre fin pour les mauvaises réponses. «
Je ne peux pas Ricky. Tout le monde nous voit déjà marié. Nos parents font déjà des projets pour notre futur. Je ne peux pas le quitter... Tu dois comprendre, pour moi c'est pas aussi facile que pour toi, je ne peux pas être qui je veux. ». Elle se mordit l'intérieur des joues pour s'interdire de pleurer. Il en était hors de question, même si elle en mourrait d'envie. On lui avait toujours répété que cette jolie demoiselle était destinée à épouser son petit ami, mais elle avait toujours refusé d'y croire, jusqu'à ce moment. Et d'aussi fort aurait-elle voulu la détester, elle n'y arrivait pas, parce qu'elle savait qu'elle ne serait pas la plus malheureuse des deux. «
Alors je te souhaite d'être heureuse avec lui. Mais tu as raison, on ne peut plus être amie. ». Parce que cela aurait été bien trop difficile de la voir chaque jour sans être capable de lui montrer son affection, de rester loin d'elle. De l'oublier. Alors sur ces quelques mots, Ricky tourna les talons et s'éloigna d'elle. Elle devait retenir ses larmes encore quelques heures, mais à l’abri dans sa chambre, ce soir elle pleurerait.
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«
Alors, c'est vrai hein ? J'en reviens pas! ». Ricky se tenait devant celle qu'elle avait aimé un jour. La seule. Celle qu'elle aimait toujours, secrètement. Elle avait entendu les rumeurs, mais elle n'avait pas voulu y croire. Tout le monde parlait de son mariage, alors elle avait pensé que la rumeur n'était qu'un malentendu. Mais non, elle s'était trompée, la rumeur était vraie. «
C'est pas ce que tu crois Ricky... C'est... C'est différent. ». L'incapacité de la jeune femme à se défendre en disait bien assez pour Erica-Anne. Elle la regardait, mais c'était à peine si elle pouvait la voir. Cette révélation, c'était comme recevoir un coup de poing en pleine figure pour elle. Elle, qui avait essayé de se convaincre que son ancienne amie était amoureuse de l'homme qu'elle allait épouser, qu'il pourrait la rendre vraiment heureuse. Mais elle s'était trompée, sinon comment expliquer ce que la jeune femme avait fait, alors qu'elle lui avait certifié plusieurs années auparavant qu'elle ne pouvait pas le tromper. Mais bien sûr, là c'était différent, parce que c'était avec un homme. «
Tu l'aimes? ». Elle avait besoin de le savoir, même si cela devait lui faire du mal. Si elle partait maintenant, sans réponse de la part de la jeune femme, elle n'arriverait jamais à l'oublier vraiment. Pas qu'elle s'en sentait capable de toutes façons, mais savoir qu'elle en aimait vraiment un autre, cela pourrait peut-être aider. Elle la regarda jouer nerveusement avec sa bague de fiançailles. «
J'en sais rien Ricky. Je crois que je pourrais l'aimer oui. Mais je vais me marier, j'ai mis fin à cette aventure. ». La blonde était partagée entre l'envie de lui dire de ne surtout pas se marier, de rejoindre cette autre homme qu'elle pensait pouvoir aimer et l'envie de l'embrasser, ici, sans réfléchir, juste dans l'espoir qu'elle se rende compte qu'en réalité, elle était toujours amoureuse d'elle. Mais aucune des deux solutions n'étaient envisageables. Elle ne pousserait pas la femme qu'elle aimait dans les bras d'un autre et elle ne l'embrasserait pas, ayant trop peur de sa réaction. Alors, elle se contenta de garder le silence, incapable de trouver quoi dire. Elle ne pleurait pas, elle s'était promise depuis longtemps de ne plus pleurer pour elle, mais son coeur souffrait quand même. «
Je suis désolée Ricky... ». Le plus douloureux, c'était qu'elle était sincère, la blonde pouvait le lire dans ses yeux. Elle était vraiment désolée et cela lui faisait vraiment mal de briser ainsi le coeur de Ricky. Elle donnait à la chanteuse, l'impression d'un oiseau, piéger dans une cage, qui ne demande qu'à voler, mais qui n'en est pas capable. Mais elle seule pouvait se libérer, Ricky ne pouvait absolument rien pour elle. Elle se passa une main dans les cheveux avant de soupire. «
Je pars en tournée. On va faire le tour de l'Alabama et peut-être du Tennessee aussi. J'espère qu'ils te rendront heureuse. ». Elle l'avait dit, même si elle était sûre qu'ils en étaient incapables. Pas qu'ils n'y mettraient pas du leur, seulement qu'ils n'étaient pas ce dont elle avait besoin. Elle le savait, son ancienne amie aussi le savait, mais elle s'entêtait à vivre dans le déni. C'était son problème, Ricky elle, avait cessée de se battre, c'était trop épuisant. Pourtant, jamais elle n'avait pu l'oublier, ou cesser de l'aimer, d'aussi fort qu'elle l'avait voulu. Ce n'était pas pour rien que beaucoup de ses chansons parlaient d'un coeur brisé ou d'une relation impossible. Entre ses parents et
elle elle avait matière à écrire, il fallait l'avouer. Et puis il y avait des chansons plus joyeuses, qui venait refléter sa vie auprès de son oncle, son héros. Elle tourna les talons et s'éloigna de la jeune femme. S'éloigner, sans se retourner.
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«
Ricky! ». Elle avait entendu l'inquiétude dans la voix de la jeune femme, mais son taux d'alcoolémie était bien trop important pour qu'elle s'en soucie. Elle avait passé sa soirée à boire, boire pour oublier. Oublier que toutes les personnes qu'elle a un jour aimé, l'ont soit rejeté, soit sont mort, soit n'ont jamais eu le courage d'avouer qu'ils l'aimaient en retour. Et c'était particulièrement vrai pour celle qui était en train de la soutenir, la conduisant vers la sortie du bar. Ricky ne se débattit pas, il y avait longtemps qu'elle n'en avait plus la force. Ainsi, elle se laissa conduire jusque chez elle, par la seule personne qu'elle aurait voulu éviter dans l'état où elle était. C'est comme ça, sans vraiment se souvenir comment, qu'elle se retrouva allongée dans son lit, observée par le regard triste et désapprobateur de celle qui fut un jour son amie et son amante. «
Marvin serait sûrement ravi de voir ce que tu t'infliges Ricky. ». Elle avait raison, mais Erica-Anne n'avait aucune envie de recevoir une leçon de morale, surtout pas par elle. Elle se redressa un peu, grimaçant alors que ses muscles lui faisaient mal de ci de là. «
Et il adorerait savoir que tu m'as brisé le coeur ! Oh et que tu as trompé ton mari. Peut être que tu le trompes toujours d'ailleurs! ». En temps normal, la jeune femme n'aurait pas été aussi cruelle, ce n'était pas son genre. Pas quand il s'agissait d'
elle. Mais l'alcool l'aidait à enfin dire ce qu'elle avait sur le coeur depuis longtemps. Bon sang, elle aimait cette femme, mais elle lui en voulait tellement d'avoir piétiné son coeur comme elle l'avait fait. L'absence de réponse de la jeune femme face à elle en disait long. «
Repose-toi, ça ira mieux demain. Je sais que c'est difficile pour toi de l'avoir perdu, mais il va falloir que tu te reprennes, je vais t'aider. ». Cette fois s'en était trop pour Ricky qui se leva, titubant un peu, aussitôt imité par
elle qui avait eu peur qu'elle ne tombe et se fasse mal. Ricky se passa une main dans les cheveux, comme si ça l'aiderait à se tenir mieux, ce qui n'était absolument pas le cas. «
Je veux pas de ton aide ! J'en veux pas t'entends ! Il était tout ce que j'avais ! Mes parents m'ont envoyé loin d'eux parce qu'ils avaient trop honte d'avoir une fille lesbienne ! Toi, t'as jamais été capable d'admettre que tu m'aimais et que les hommes de ta vie te rendent plus misérable qu'autre chose ! Y avais que lui qui m'aimait vraiment ! Je veux pas de ton aide, dégages! ». Elle avait les larmes aux yeux, ressasser sans cesse le passé l'avait enfin fait craquer. Et avant même qu'elle ne s'en rende compte, elle était en train de pleurer dans les bras d'une des personnes qui lui avait fait le plus de mal. Elle se laissa alors bercer par la jeune femme, se calmer au grès de ses
shh, avant de se laisser tomber sur le lit, épuisée. Elle n'eut pas le courage d'ouvrir les yeux, mais elle sentit des lèvres se poser sur sa joue. «
Et pourtant je t'aimais, si tu savais... Je t'aime encore Ricky. Je suis désolée de t'avoir fait autant de mal... Mais tu dois arrêter de te détruire comme ça. Marvin n'aimerait pas ça. Je n'aime pas ça. ». Elle avait entendu et imprégné chacun des mots qu'elle lui avait dit, mais elle ne trouva jamais la force d'ouvrir les yeux et de lui répondre. Si bien, qu'au petit matin, lorsqu'elle se réveilla seule chez elle, elle n'était plus sûre de savoir si cela avait été réel, ou si elle avait rêvé.